Nocte ambulamus - In vitae sublimamus - Nostris meritis redderemus
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30 octobre 1205
Ségovie brûle. Du moins, en partie. Nous avons poursuivi nos actes de déprédation afin de retarder l'érection du monastère. Nous sommes rentrés sans encombre à notre petit campement.
Les flammes m'ont léché la peau mais ont réveillé ce soir une blessure plus profonde, moins visible. Ce feu que je chérissais tant, toujours changeant, jamais ce qu'il paraît, insaisissable, qui me guidais lorsque je craignais l'obscurité, ce feu là n'est plus capable de réchauffer mes chairs mortes. Plus que jamais je ressens la damnation éternelle à laquelle on m'a condamnée. Plus que jamais ce que l'on m'a volé me manque.
Et si finalement, la mort était un don ? Et si finalement face à cette certitude si nue, tout avait une saveur différente: la nourriture, la promesse d'un jour de plus; le feu, une douce sensation que l'on recherche.
Je ne constate aucun signe d'une telle attrition chez mes compagnons. Ils portent sur eux la fierté du puissant. Jamais ils ne défaillent. Alors que moi, je suis emportée par des tempêtes de sentiments, la passion m'ennivre. Mais peut-être me vourvoye-je. Inigo pense qu'à son départ, notre vie a vidé notre coeur, a tari notre capacité à aimer, que les vampires qui aiment ont créé des substituts à cette vacance, une forme pervertie singeant ce que nous ne savons plus ressentir, que les vampires qui n'aiment plus ont construit une défense pour ne pas faire face à cette forme que revêt leur malédiction.
Qu'ai-je donc vécu alors durant mes nuits à Saragosse en compagnie de Marcella ? Vécu... quelle ironie d'employer ce terme qui se moque bien de mon sort désormais. Qu'employer d'autre ? Traversé, partagé, expérimenté, pourrait dire Aleksandra. De pâles substitus pour des coeurs inertes, froids, mais toujours avides d'un sang que nos chairs ne gardent plus.
Dieu est un prétentieux qui n'a fait de sa création guère plus qu'un brouillon dans lesquelles de vraies forces surnaturelles se sont imiscées, insidieuses et malveillantes, répandant souffrances et décidant de nos sorts funestes.
J'ai besoin de sang, un calice fera l'affaire. Au moins, lui, ressentira quelque joie profonde à m'en faire don.